Faut-il arrêter d’acheter des pièces d’origines ?

Réflexion sur les pièces copiées en penspinning

Entre éthique, accessibilité et indépendance créative

Une position difficile à tenir

Page de Eno sur Taobao

Plusieurs années ont passé depuis que j’ai entendu parler pour la première fois d’Eno Shop. Il y a 4 ans (en 2015), j’ai effectué mon tout premier achat dans sa boutique en ligne. J’ai eu de la chance de réussir à passer toutes les pages étranges en chinois sur Taobao, jusqu’à enfin pouvoir entrer mes informations de carte bancaire et passer commande. Le plus drôle, c’est qu’il fallait installer une application de messagerie spécifique pour discuter avec les vendeurs, afin qu’ils puissent aider à acheter leurs produits. À ce moment-là, j’étais super content d’avoir autant de pièces pour si peu cher. J’avais acheté un faux Miffy, plusieurs caps de CT, et peut-être même quelques pièces plus produites depuis longtemps — je ne me rappelle plus de tous les détails.

Aujourd’hui, nous sommes à la mi-2019, et il m’arrive encore d’acheter quelques pièces copiées. Mais je n’ai jamais vraiment pris le temps d’écrire ce que j’en pense. Principalement parce que c’est un sujet complexe pour moi, et que j’avais du mal à comprendre ma propre position.

Cela fait maintenant six ans que j’étudie dans une école supérieure d’art en France, avec une spécialisation en design d’objet. Le 19 juin, je passerai ma dernière soutenance avant d’obtenir mon diplôme et devenir designer produit. Ainsi, l’acte de copier des objets me touche de très près. Si je devais passer des années à concevoir, réfléchir et produire un objet, puis découvrir que quelqu’un me vole le concept en modifiant à peine quelques détails, je serais forcément déçu. En essayant de ne pas acheter de copies autant que possible, j’avais l’impression de faire ma part dans cette lutte.

Pièces accessibles vs. pièces d’origine : un faux dilemme ?

A gauche, tip de NeedlePoint d’origine
A droite, copie du tip de NeedlePoint
Source, Post de Kay sur X

Mais depuis les débuts du penspinning jusqu’à aujourd’hui, nous avons toujours été dépendants des grandes marques de stylos : Miffy et Melanies, white Watercolors, neon HGGs, Needlepoints, etc. Tous ces modèles ne sont plus produits, même si nous continuons de les utiliser. Nous sommes trop peu nombreux pour influencer une décision de relancer leur production. Et encore moins pour convaincre les marques directement. D’une part, créer des alternatives à ces stylos est l’un des aspects intéressants de la copie. D’autre part, la présence de copies sur le marché fait baisser la valeur des pièces d’origines — ce qui dérange surtout les collectionneurs. Dans tous les cas, cela permet à la communauté de devenir moins dépendante des grandes marques, et offre à un grand nombre d’entre nous un accès plus large au matériel. À ce stade, n’utiliser que des pièces originales peut être vu comme une forme d’élitisme.

Dès lors, la vraie question devient : jusqu’à quel point l’usage de copies influence-t-il notre travail final ? Qu’est-ce qui rend un faux tip de Dr Grip moins valable qu’un vrai ? Est-ce uniquement parce qu’elle ne provient pas du stylo d’origine ? Ou est-ce plutôt une question de qualité ?

Car on le sait bien : en penspinning, la qualité du matériel est cruciale. Elle influe sur la texture des pièces, la souplesse des grips, la solidité d’un corps, la durabilité d’un mod… Ces critères nous tiennent à cœur, au point de déclencher des débats enflammés contre ceux qui vendent des pièces de mauvaise qualité. Mais alors, pourquoi ce sujet reste-t-il aussi tabou ? Pourquoi ne pas se réjouir de voir apparaître de nouveaux produits pensés pour notre pratique, et à moindre coût ?

L’inégalité est partout. Je l’ai compris en rejoignant la communauté internationale sur Facebook, en découvrant des spinners vivant dans des pays à faibles revenus, ou simplement trop jeunes pour être indépendants financièrement. Le penspinning ne coûte rien à pratiquer, mais les mods ne sont pas gratuits. Seule une minorité peut se permettre des mods 100 % originaux. Les autres doivent se contenter d’un mod par an, ou se tourner vers des copies. C’est là tout l’intérêt des pièces copiées : moins chères, elles démocratisent l’accès au matériel, permettent à plus de monde de pratiquer, d’expérimenter, de modder. Et donc, de faire grandir la communauté.

C’est formidable, non ? En tout cas, cela suffit à montrer que le penspinning n’est pas en train de mourir, contrairement à ce que certains affirment. La demande de pièces est là. Le vrai problème n’est pas le manque de popularité du penspinning, mais plutôt la manière dont la communauté est structurée et gérée sur les réseaux sociaux. Mais ça, c’est un autre débat.

Vers une production indépendante et responsable

Revenons au sujet. Un autre problème des copies, c’est le manque de transparence sur les intentions des fabricants. À part le profit, cherchent-ils à améliorer la vie des spinners ? Produisent-ils des copies de meilleure qualité, à un coût réduit ou au même prix ? Si c’est le cas, ce serait une avancée majeure. Car soyons honnêtes : ce qui nourrit notre méfiance envers les copies, c’est avant tout leur mauvaise qualité. Mais comment améliorer cette qualité ? De quoi a-t-on besoin pour obtenir une pièce aussi bonne que l’originale ? Probablement de bons matériaux (plastique, colorants…), qui coûtent plus cher. Et c’est pour ça qu’on devrait connaître les objectifs des fabricants. Si leur problème est vraiment le coût des matières premières, alors acheter leurs produits, même imparfaits, pourrait les aider à financer des versions de meilleure qualité.

Regardez le DGG de chez Eno. Une version V2, mieux fabriquée, est sortie il y a deux ans (2017). Reste à savoir si cette amélioration est isolée ou si elle annonce une tendance générale chez Eno — difficile à dire, car la communication est quasi inexistante. Et c’est bien là le cœur du problème : comment communiquer avec eux ? Comment leur faire part de nos besoins, leur transmettre nos retours, les guider pour qu’ils conçoivent des pièces adaptées à notre pratique ?

Honnêtement, je n’ai aucune idée de comment fonctionne l’industrie en Chine. Mais le fait est que le lien entre la communauté internationale et les producteurs de copies est presque inexistant. Je comprends que communiquer avec la Chine est compliqué, notamment à cause des restrictions d’accès à Internet, mais je pense qu’on devrait tout faire pour maintenir un lien. Pour consolider notre communauté, notre monde.

Au fond, pourquoi devrions-nous faire plus confiance à l’industrie du stylo — qui ne s’intéresse pas du tout à nous et rend l’accès à certaines pièces presque impossible — qu’à Eno, qui propose (en théorie) de rendre tous les composants accessibles à chacun via la copie ?

Allons plus loin : imaginons qu’on ait la possibilité de créer n’importe quelle pièce, avec un contrôle total sur la densité, la forme, la texture. Un barrel au diamètre d’un Giotto, mais avec le toucher d’un Stalogy. Un grip de 10 cm qu’on pourrait découper à volonté. La liste est infinie. Le but ici est de montrer qu’en coopérant avec les fabricants de copies, on pourrait concevoir des produits sur mesure, adaptés à notre pratique. C’est actuellement impossible, puisque nous dépendons du marché global du stylo, qui ne partage pas notre vision. Un exemple prometteur : le nouveau barrel d’Eno, en forme de Supertip, avec une texture antidérapante.

Alors, à quoi bon rester élitiste ? On nous offre une chance formidable : celle de créer nos propres outils, notre propre monde, notre propre héritage culturel. Une chance de devenir indépendants, tout en répondant aux besoins des spinners et des modders. Ne serait-il pas temps de saisir cette opportunité, en soutenant les fabricants de copies, plutôt qu’en restant bloqués dans le passé avec des pièces originales et introuvables ?

En ne copiant que le tip du Uni-ball Signo, on évite environ 84,7 % de ressources utilisées pour fabriquer le stylo entier.

D’autant plus que cette approche ouvre aussi la voie à une forme de responsabilité environnementale. En copiant uniquement une pièce plutôt que de devoir acheter et démonter un stylo entier pour n’en utiliser que 10%, on limite considérablement la consommation de ressources. Cela réduit le gaspillage, le transport inutile de produits complets et favorise une production plus ciblée. À terme, si les fabricants de copies adoptent des procédés plus durables, voire des matériaux recyclés ou biodégradables, le penspinning pourrait devenir un exemple de micro-industrie créative et responsable.

Soutenir cette évolution, c’est aussi repenser notre rapport aux objets : privilégier l’usage, la fonctionnalité, la communauté, plutôt que la rareté et la marque. C’est donner une autre valeur aux pièces : non pas celle de leur origine, mais celle de leur utilité, de leur accessibilité, de leur contribution à une culture vivante et partagée.

Merci d’avoir lu jusqu’au bout et bonne journée !


Note : cet article a été enrichi en juin 2025 avec une réflexion complémentaire sur les enjeux d’écoresponsabilité liés aux pièces copiées.